la femme cible et ses dix amants

LA FEMME CIBLE ET SES DIX AMANTS

Editions Lansman, 2005

Pièce écrite en 2004

23 rôles interchangeables
nombre minimum de comédiens 7 : (4 hommes, 3 femmes)

 

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Une nuit, sur une place publique dans une ville de province. Une foire itinérante - comme il en existe tant - se déploie peu à peu dans la routine des gestes mille fois répétés... Le lendemain matin tout est en ordre pour la visite du nouvel inspecteur chargé par la région de la sécurité des installations foraines. Rien d’extraordinaire jusque-là. Mais cette belle quiétude n’est qu’une façade. D’étranges phénomènes vont jeter le trouble dans la communauté et laisser pantois le brave inspecteur : disparitions dans la Maison des Horreurs, gomme géante qui efface tout sur son passage, réapparition d’un homme après trente ans d’absence... et femme-cible qui doit être aimée avant l’aube par ses dix amants. Arrivera-t-il à remettre de l’ordre dans cette pagaille ?

 


Couloir dans la maison des horreurs.

L’INSPECTEUR. — Je n’aurais pas dû entrer ici. On m’a dit de ne pas entrer ici, et pourtant j’y suis entré. Dehors, les forains sont toujours en train d’installer leurs baraques. J’entends un manège qui se met en marche. Le patron de la baraque de tir est en train de gonfler ses ballons. La nuit est belle, le vent ne souffle plus. J’aurais dû demander à Bernadette de me préparer un chichi. Pourquoi on m’a parlé des disparitions dans la maison des fantômes ? Ils sont tous pareils, ces forains.

La Femme qui a un couteau enfoncé dans l’œil gauche arrive en courant. Elle s’arrête devant l’Inspecteur.

LA FEMME QUI A UN COUTEAU ENFONCÉ DANS L’ŒIL GAUCHE. — Psst ! Ne dites rien à personne. (Elle lui donne un baiser.) Vous ne m’avez pas vue, d’accord ? Attention, à gauche c’est la chambre des couteaux volants, à droite c’est la chambre des têtes coupées, et juste en face c’est la chambre de l’Animal qui ressemble parfaitement à l’homme. Je dois partir maintenant, mais parce que vous avez eu la gentillesse d’entrer, je vais vous attendre avant le lever du soleil dans la chambre des pendus. C’est tout au fond, après la chambre des joyeux bouchers et après la chambre du mistral. Vous êtes un chou, mon ami. Allez, il faut que je profite de votre entrée pour pouvoir sortir. Mais n’oubliez pas, on se voit à 4 heures du matin au plus tard, dans la chambre des pendus. D’accord ?

Elle disparaît derrière une porte. Tout de suite, plusieurs couteaux lancés par une main experte s’enfoncent dans la porte.

LE LANCEUR DE COUTEAUX IVRE. — Vous l’avez vue ? Vous l’avez vue ? Vous avez vu comme elle se comporte, cette pute ? (Il récupère ses couteaux.) Vous avez remarqué qu’il lui manque un œil ? C’est à cause de moi… Je suis Tony le Galant, lanceur de couteaux… Le couteau dans son œil gauche, c’est moi… Oh, c’est une vieille histoire sans fin… J’étais ivre ce jour-là, et ma main a tremblé… Et depuis, elle couche avec tout le monde. Mais, finalement, je m’en fous. Finalement, je m’en fous, monsieur, parce que je suis un homme heureux. Je suis un lanceur de couteaux ivre heureux. Une femme qui te rend fou, ça doit avoir des amants. On ne peut pas lui demander de te rendre fou de bonheur, et de ne pas avoir en même temps plusieurs amants. (Il sort une bouteille de vin.) Vous voulez boire une gorgée ? Non ? Mon problème, c’est que lorsqu’elle va chez ses amants, moi, je ne peux pas dormir. Je la suis. Mais elle, elle n’en sait rien. Elle croit que je suis toujours en train de dormir, fou de bonheur. Parce que cette femme, cette femme que vous avez vue, qui est ma femme, elle me rend fou de bonheur tous les soirs. Tous les soirs, elle me rend heureux comme un roi. Et moi, lorsque je suis heureux comme un roi, je fais semblant de m’endormir. Voilà… Et c’est alors qu’elle me quitte et va chez ses amants. (Dans la chambre à couteaux, plusieurs couteaux se mettent à voler et finissent par s’enfoncer dans les murs, dans les portes, etc.) Elle se détache doucement, tout doucement, de mes bras… Et elle va chez ses amants. Elle met sa robe rouge et ses sandales rouges, et elle va chez ses amants.

L’image de la Femme qui a un couteau enfoncé dans l’œil gauche apparaît sur une cible à portes. Le Lanceur de couteaux ivre s’exerce à lancer ses couteaux autour de l’image.

LE LANCEUR DE COUTEAUX IVRE. — La robe rouge, elle ne la met que pour ses amants. Jamais pour moi. Et les sandales rouges, pareil. (Il continue le même jeu.) Que pour ses amants. Jamais pour moi. Le parfum que vous sentez… vous sentez ?… c’est le parfum pour ses amants. Et les grandes boucles d’oreille, pareil, c’est les boucles d’oreille pour ses amants. Et tout ça, acheté par moi. Voilà, c’est comme ça qu’elle part la nuit, juste après minuit, chez ses amants. Vous l’avez vue ? Elle a dix amants dans cette ville, comme dans chaque ville, et elle les voit tous. Elle leur fait amour à tous, jusqu’à l’aube, quand elle rentre pour me préparer le café. Parce que moi, au réveil, j’ai besoin d’un café préparé par elle… Par elle et seulement par elle… Parce qu’autrement je ne me réveille pas… Parce qu’autrement je risque de ne jamais me réveiller… (Il pleure.) Jamais, jamais, jamais… Excusez-moi, monsieur l’Inspecteur, de vous raconter tout ça… Je ne sais pas pourquoi j’ai eu ce besoin de me confesser. En général, je suis silencieux et discret. Voilà, toute ma collection de couteaux est là… Vous pouvez vérifier… Ce sont des couteaux de très bonne qualité, très bien aiguisés… Vous avez vu comme ça s’enfonce bien dans la porte. Dommage que je sois un peu ivre, j’aurais pu vous proposer de vous utiliser comme cible. Vous avez un accent du Nord, si je ne me trompe pas ?
L’INSPECTEUR. — Oui.
LE LANCEUR DE COUTEAUX IVRE. — Bon, il faut que j’aille dormir quand même un peu. Il faut que je dessoûle un peu. Le premier spectacle, c’est demain à 10 heures. Vous allez venir ?
L’INSPECTEUR. — Oui. Oui, sûrement… Oui, pourquoi pas ?
LE LANCEUR DE COUTEAUX IVRE. — Bon, tous mes accessoires sont installés... Maintenant, je peux aller me coucher. Elle, elle va se laisser aimer toute la nuit par ses amants, et moi, il faut que je dessoûle… Tenez, je vous laisse un couteau… Comme j’imagine que vous allez quand même la rejoindre dans la chambre des pendus…
L’INSPECTEUR. — Mais non, monsieur le Lanceur de couteaux ivre. Non, je n’ai aucunement l’intention… Il est parti… (En criant.) Monsieur le Lanceur de couteaux ivre… Monsieur le Lanceur de couteaux ivre… Je n’ai pas du tout l’intention de coucher avec votre femme dans la chambre des pendus… Je vous jure que… Il n’est pas là… Il est parti se coucher… Bon Dieu, qu’est‑ce que je fais ? Et si… Finalement, pourquoi pas ? Elle m’a donné rendez-vous dans la chambre des pendus… Finalement, je suis chargé de superviser la sécurité de la fête foraine… Il faut que je m’assure que dans la chambre des pendus les pendus… sont bien pendus… Il faut… Mais que se passe-t-il avec ma mémoire ? Mais que se passe-t-il avec ma mémoire ?

Les rideaux d’un castelet s’ouvrent. Sur une toute petite scène, le Garçon bègue joue de la flûte. La Petite Bernadette fait son apparition. Elle salue le public et se met à raconter une histoire, accompagnée à la flûte par le Garçon bègue.

LA PETITE BERNADETTE. — Hier, l’Animal qui ressemble parfaitement à l’homme est sorti de l’océan. Ça faisait mille ans qu’il n’était plus monté sur la Terre. L’Animal qui ressemble parfaitement à l’homme sortit de l’océan à 9 heures du soir, juste un peu avant le coucher du soleil. Pendant quelques minutes, l’Animal qui ressemble parfaitement à l’homme contempla le coucher du soleil. C’est beau le coucher du soleil sur la Terre, se dit l’Animal qui ressemble parfaitement à l’homme, c’est presque aussi beau que le coucher du soleil noir dans l’abysse de l’océan.
L’Animal qui ressemble parfaitement à l’homme monta ensuite sur la falaise et contempla la mer d’en haut. Ça change de couleur, se dit l’Animal qui ressemble parfaitement à l’homme, ça a presque la même couleur que la matière qui ne cesse d’être aspirée par le sablier géant de l’intérieur de la Terre.
La mer était calme à ce moment-là, et des milliers de bateaux s’approchaient du rivage. Ça doit être le grand retour des voyageurs célestes aveugles, se dit l’Animal qui ressemble parfaitement à l’homme. Comme il n’était plus remonté sur la Terre depuis mille ans, il ne savait pas que depuis sa dernière apparition il y avait une guerre terrible sur la Terre, entre les peuples qui croyaient en l’Animal qui ressemble parfaitement à l’homme, et les peuples qui ne croyaient pas en l’Animal qui ressemble parfaitement à l’homme.
Pendant toute la nuit, les bateaux et les villes disséminées le long du rivage s’affrontèrent. Tous les bateaux prirent feu finalement, ainsi que les villes disséminées le long du rivage. L’Animal qui ressemble parfaitement à l’homme se promena longtemps parmi les cadavres des guerriers et les carcasses des bateaux échoués sur la plage. C’est beau, se dit l’Animal qui ressemble parfaitement à l’homme, c’est un peu comme lors de nos fêtes en l’honneur des petits poissons scintillants.

La Petite Bernadette et le Garçon bègue saluent le public.

LA PETITE BERNADETTE. — Ça vous a plu, mon histoire, monsieur l’Inspecteur ?
L’INSPECTEUR. — Oui, oui… beaucoup.
LA PETITE BERNADETTE. — C’est mon père qui l’a écrite. Il dit qu’en plus c’est une histoire vraie. Vous croyez qu’elle est vraie ?
L’INSPECTEUR. — Oui, en quelque sorte…
LA PETITE BERNADETTE. — Voilà. Et lui, c’est mon frère. Mais lui, il ne sait pas raconter, parce qu’il est bègue.
LE GARÇON BÈGUE. — Chichis !
LA PETITE BERNADETTE.— Mon père, qui est conteur, a toujours voulu avoir un fils, pour lui apprendre à raconter. Son rêve était de parcourir le monde avec son fils et de raconter, tous les deux, des histoires. Mais Dieu a voulu que son fils soit bègue. Alors, parce qu’il est bègue, il a appris à jouer de la flûte. Vous pensez que tous les bègues devraient apprendre à jouer de la flûte ?
L’INSPECTEUR. — Oui. C’est-à-dire… si on veut…
LA PETITE BERNADETTE. — Vous voulez qu’il vous dise quelque chose, pour vérifier qu’il est bègue ?
L’INSPECTEUR. — Ah, non…
LA PETITE BERNADETTE. — En effet, il trébuche sur tous les mots, sauf un seul. Allez, Thomas, dis ce que tu sais dire sans trébucher.
LE GARÇON BÈGUE. — Chichis !
LA PETITE BERNADETTE. — Voilà. Ça, il sait le dire sans trébucher. Dis-le encore, Thomas.
LE GARÇON BÈGUE. — Chichis, chichis, chichis !
LA PETITE BERNADETTE. — Voilà, monsieur l’inspecteur. C’est ça l’histoire de ma famille. Quand mon père a vu que son fils était bègue, il m’a faite, moi, qui suis très bavarde. Et maintenant je connais par cœur toutes les histoires de mon père, car lui, il a commencé à perdre la mémoire. Je les connais par cœur, mais je ne les comprends pas. Vous pensez que je vais les comprendre un jour ?
L’INSPECTEUR. — Oui, oui, sûrement.
LA PETITE BERNADETTE. — Bon, mon père m’a dit qu’il vous attend dans la chambre du vide. Et moi, quand je serai grande, je vous attendrai, moi, aussi, dans la chambre des pendus. D’accord ? Au revoir, monsieur l’Inspecteur.

Noir.

L’INSPECTEUR. — Comment tu t’appelles ? Hein ? Fillette ! (Il trébuche sur un corps.) Elle est partie… Et moi, je ne sais même pas où se trouve cette chambre des pendus. Et je commence à avoir un peu faim. J’aurais dû aller chez Florence pour boire une bonne bière et manger un sandwich…. Dommage… (Il tâtonne le corps sur lequel il vient de trébucher. Celui-ci se met à bouger sous un énorme linceul qui couvre tout l’espace.) Excusez-moi, monsieur, je vous ai peut-être fait mal. J’ai marché sur vous par mégarde. Je me présente. Je suis l’Inspecteur chargé par la Région Éolienne des Alpilles de la sécurité de la fête foraine. Tous les forains doivent remplir un formulaire spécial imprimé par la Région. Sur le formulaire, ils doivent, en toute sincérité, avouer si : 1o dans le passé, il y a eu des accidents auprès de leurs stands ; 2o dans le passé, il y a eu des accidents provoqués par le fonctionnement de leurs engins ; 3o dans le passé, il y a eu des accidents à l’intérieur de leurs baraques, chapiteaux ou installations ; 4o si, à leur avis, leurs installations comportent des composantes à risque ; 5o ils doivent préciser l’année de la construction ou de l’acquisition de leurs animations à moteurs. Voilà. Ça a été l’initiative de la mairie. Pour que la fête se déroule dans de bonnes conditions. Vu que le temps est magnifique, que notre région est si belle. Notre ville a une tradition accueillante. Notre ville…
L’ANIMAL QUI RESSEMBLE PARFAITEMENT À L’HOMME. — Vous êtes plutôt chaussure ou plutôt parapluie ?
L’INSPECTEUR. — Pardon ?
L’ANIMAL QUI RESSEMBLE PARFAITEMENT À L’HOMME. — Je vous demande si vous êtes plutôt chaussure ou plutôt parapluie. Ou entre les deux.
L’INSPECTEUR. — Excusez-moi encore une fois, je n’ai pas compris votre question.
L’ANIMAL QUI RESSEMBLE PARFAITEMENT À L’HOMME. — Je suis l’Animal qui ressemble parfaitement à l’homme. Maintenant vous comprenez ?
L’INSPECTEUR. — Oui.
L’ANIMAL QUI RESSEMBLE PARFAITEMENT À L’HOMME. — Vous voulez voir à quoi je ressemble ?
L’INSPECTEUR. — Oui. C’est-à-dire… Non… Parce que c’est clair, vous ressemblez parfaitement à l’homme. Au moins d’après ce qu’on dit.
L’ANIMAL QUI RESSEMBLE PARFAITEMENT À L’HOMME. — Moi, je vous suggère quand même de soulever un peu le linceul, et de jeter un coup d’œil.
L’INSPECTEUR. — Non, non… Je vous fais confiance. Je fais confiance au conteur. La seule chose que je désire, c’est de savoir si, au cours de votre animation, vous allez utiliser des matériaux inflammables, toxiques ou extrêmement pointus, susceptibles de devenir dangereux pour la santé du public. Voilà. C’est une pure formalité, c’est pour le questionnaire de la Région.
L’ANIMAL QUI RESSEMBLE PARFAITEMENT À L’HOMME. — Non, monsieur l’Inspecteur. Moi, je suis tout nu sous ce linceul. J’évolue sans accessoires. En effet, je ne suis qu’une bête à regarder.
L’INSPECTEUR. — Ah ! J’ai oublié de vous dire, il y a aussi un formulaire concernant le degré de nudité des artistes.
L’ANIMAL QUI RESSEMBLE PARFAITEMENT À L’HOMME. — Écoutez, d’après ce que vous me dites, dans cette ville la mémoire de type chaussure a foutu le camp. Excusez-moi de vous dire ça comme ça… Vous êtes toujours là ?
L’INSPECTEUR. — Oui.
L’ANIMAL QUI RESSEMBLE PARFAITEMENT À L’HOMME. — Et vous vous taisez ?
L’INSPECTEUR. — Oui.
L’ANIMAL QUI RESSEMBLE PARFAITEMENT À L’HOMME. — Je peux vous expliquer en détail, si vous voulez.
L’INSPECTEUR. — Oui, je veux bien.
L’ANIMAL QUI RESSEMBLE PARFAITEMENT À L’HOMME. — Posez d’abord ce couteau par terre, voulez-vous ?
L’INSPECTEUR. — Oui, voilà, je le pose par terre.
L’ANIMAL QUI RESSEMBLE PARFAITEMENT À L’HOMME. — Bon, donc, le problème c’est que depuis un certain temps, chez les humains, la mémoire de type chaussure disparaît. La mémoire de type chaussure, c’est la bonne vieille mémoire d’autrefois, c’est la mémoire de la continuité, c’est le monde raconté par une chaussure, si vous voulez. Eh bien, le problème, comme je vous disais, c’est que la bonne vieille mémoire solide, quotidienne, de type chaussure, cette mémoire de la marche, de la souffrance de la marche, si vous voulez, est de plus en plus souvent remplacée par une mémoire de type parapluie. C’est-à-dire par une mémoire ponctuelle, par une mémoire trouée, par une mémoire capricieuse, bref, par une mémoire de type parapluie. Avant, le monde nous était raconté par les chaussures. Aujourd’hui, de plus en plus, c’est les parapluies qui prennent le relais. Or, qu’est-ce qu’il pourrait raconter, un parapluie, sur le monde ? Voilà pourquoi je vous pose la question. Vous êtes plutôt chaussure ou plutôt parapluie ?
L’INSPECTEUR. — Écoutez, j’en sais rien, moi. Je n’étais aucunement préparé à une telle question.
L’ANIMAL QUI RESSEMBLE PARFAITEMENT À L’HOMME. — Moi, je trouve que c’est monstrueux de laisser les parapluies raconter le monde. De toute façon, pour quelqu’un comme moi qui ne suis plus ressorti de l’océan depuis mille ans, tomber sur un monde raconté par les parapluies, c’est atroce. J’avoue que je ne comprends plus rien. D’ailleurs je ne vais plus traîner longtemps sur la Terre. J’ai accepté de donner un coup de main à quelques amis forains. J’ai encore deux ou trois spectacles à livrer, à Martigues, Salon-de-Provence et Manosque, et puis je rentre chez moi. Au revoir, monsieur l’Inspecteur.
L’INSPECTEUR. — Monsieur l’Animal… Monsieur l’Animal, une seconde, s’il vous plaît… Je pense que je suis plutôt chaussure. Je n’oublie jamais rien. Je sais ce que c’est, la marche. Lorsque j’étais très, très jeune, j’ai commencé comme facteur… Monsieur l’Animal, vous m’entendez ? Si vous êtes vraiment l’Animal qui ressemble parfaitement à l’homme, est-ce que vous me ressemblez aussi, monsieur l’Animal ?

 

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Entre farce et fable décapante, Matéï Visniec nous plonge dans un monde de fées dans lequel les anges dorment dans les poubelles et les animaux parlent. Joli barouf que font ces personnages extravagants ! Ils semblent nous poser des questions à travers leur quête désespérée de l’autre. L’homme retient-il quelque chose des massacres et des erreurs du passé ? C’est aussi une maison de fous, peut-être un grand rêve qui ne s’éteindra qu’au petit jour ?

(fiche de lecture, TJP – Centre Dramatique National d’Alsace – Strasbourg)


Des destins brisés, il semble bien qu’il y en ait aussi, à foison, dans La femme-cible et ses dix amants. Une fête foraine s’installant sur une place publique, une « Maison des Horreurs », un « inspecteur chargé de la sécurité des installations foraines », une « femme qui a un couteau enfoncé dans l’œil gauche », un « Animal qui ressemble parfaitement à l’homme », et – abrégeons – un flot de personnages soumis à la menace d’une gomme géante, à leur propre délire, disparaissant, réapparaissant, se posant la question – et la posant au lecteur/spectateur : « Vous êtes plutôt chaussure ou plutôt parapluie ? » ; question qui, sous des dehors déconcertants, pose celle de la mémoire et de la vision du monde. Au milieu du désordre grandguignolesque, un « conteur » vient périodiquement tenter de faire le point, de donner des nouvelles des disparus, de nous faire retrouver l’ordre des choses et du temps.
Le théâtre de Matéi Visniec joue avec la tradition, en s’appuyant, ici, sur Shakespeare, Tchekhov, le Grand Guignol (ou le théâtre surréaliste d’un Roger Vitrac, par exemple) ; il joue au sens plein du terme, dans un esprit ludique certes, mais aussi théâtralement, littérairement, le plus sérieusement du monde. Et dans cet hommage distancié, dans cette perpétuation incessante de la dramaturgie, se crée un théâtre nouveau, polyphonique, résolument moderne.

(Jean-Pierre Longre – Sitarmag)

Coproduction, Théâtre de la Licorne (Lille) and the « Radu Stanca » Theater of Sibiu,Romania, 2009, directed by Claire Dancoisne

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