Nina

LA VIEILLE DAME QUI FABRIQUE 37 COCKTAILS MOLOTOV PAR JOUR

Editions Ecritures Théâtrales Grand Sud-Ouest, 2009

Pièce écrite en 2000

4 rôles (2 hommes et 2 femmes)

 

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Sans crier gare, une vieille dame inconnue fait intrusion à tout instant dans la vie de l'auteur.

Comme d'autres personnages, du reste, qui débarquent au milieu de la nuit pour lui déclarer tout à trac leur amour, dénigrer son travail, se rebeller devant leur condition de personnages secondaires... Mais la plus inquiétante, c'est elle, qui ne cesse de l'engueuler, de lui reprocher paresses, faiblesses et maladresses… Tout en lui prodiguant promptement quelques leçons d'écriture car elle a autre chose à faire : fabriquer 37 cocktails Molotov par jour. Elle mitonne ses petites bombes avec soin, dans des effluves d'essence, entre crash d'avion et chanson publicitaire. Tout en nous faisant entendre notre condition de clowns trébuchant sur la sciure jonchant la piste de cirque de nos vies.

Personnages :

L'AUTEUR
LA VIEILLE DAME
UN PERSONNAGE MASCULIN (qui joue plusieurs rôles)
UN PERSONNAGE FEMININ (qui joue plusieurs rôles)


SCENE 1

L'AUTEUR devant son ordinateur. Il imprime quelques feuilles, s'approche de la rampe et s'adresse au public.

L'AUTEUR – Dès que j'invente un personnage, il frappe à ma porte et il veut me parler.

Coups frappés à la porte.

L'AUTEUR – Voilà, c'est insupportable… La vie d'un auteur, c'est ça… être harcelé sans cesse par ses personnages… (Vers la porte.) Je ne suis pas là !

LA VIEILLE DAME entre.

LA VIEILLE DAME – Bonsoir…
L'AUTEUR (au public) – Voilà… Dès que je termine une scène, le personnage principal se pointe et il veut que je la lui lise tout de suite…
LA VIEILLE DAME – Elle n'est pas très longue, j'espère.
L'AUTEUR – Madame, je refuse de vous parler.
LA VIEILLE DAME (s'assoit sur une chaise) – Allez, je n'ai pas beaucoup de temps. Et éteins ton portable.
L'AUTEUR – Madame, je ne vous connais pas. Vous n'existez pas. Et c'est scandaleux de faire irruption comme ça dans mon appartement. Dans mon cerveau. Dans ma pièce…
LA VIEILLE DAME - Ça a un titre ?
L'AUTEUR – Oui. "De la sensation d'élasticité lorsqu'on marche sur des cadavres."
LA VIEILLE DAME - Bon, vas-y.
L'AUTEUR (en lisant) – La vieille femme qui n'a rien d'étrange entre, ouvre l'une de six portes et fait sortir un homme qui est ligoté et bâillonné sur un fauteuil roulant. Elle pousse le fauteuil jusqu'au milieu de la pièce. La vielle femme qui n'a rien d'étrange : "Bonjour, monsieur le Gardien. Comme il fait beau aujourd'hui, n'est-ce pas ? Vous avez bien dormi, monsieur le Gardien ? Moi, je n'ai pas très bien dormi. Avec tout ce que j'ai à faire, ce n'est pas facile de s'endormir... Quand je sais que je dois me réveiller tôt, balayer la pièce, ouvrir la fenêtre, traire les vaches, faire bouillir le lait, vous faire sortir du placard, vous préparer le petit déjeuner... Croyez-moi, monsieur le Gardien, la répétition de tous ces gestes, tous les jours, pendant des années... ça fatigue... Voulez-vous que je vous pousse un peu devant la fenêtre ?" La vielle femme qui n'a rien d'étrange se dirige vers la deuxième porte, l'ouvre, fait sortir une femme ligotée et bâillonnée sur un fauteuil roulant, et la pousse vers le milieu de la pièce. La vielle femme qui n'a rien d'étrange : "Bonjour madame la Directrice. Vous avez fait de beaux rêves ? Moi, je fais presque toujours le même rêve. C'est assez inconfortable, je vous assure. Dès que je m'endors, je rêve que je suis ligotée, bâillonnée et fixée à vie sur un fauteuil roulant. Depuis des années je rêve que je dors dans ce fauteuil roulant, enfermée dans ce placard, toute la nuit... C'est fou, vous voyez, c'est parfois insoutenable... C'est pour ça que je suis un peu abattue tous les matins, parce que je ne rêve que de ça... Si je pouvais, je cracherais sur mon rêve... Mais on ne peut pas cracher sur ses rêves... On ne peut pas cracher de l'intérieur de sa bouche vers l'intérieur de sa tête... On ne peut cracher que de l'intérieur vers l'extérieur..."

LA VIEILLE DAME s’allume une cigarette.

LA VIEILLE DAME – Je n'aime pas.
L'AUTEUR – Je ne peux pas continuer comme ça. C'est toujours pareil, vous m'interrompez sans cesse.
LA VIEILLE DAME – Je n'aime pas.
L'AUTEUR – Mais je m'en fous ! Ma pièce est conçue comme une architecture, elle a une courbe dramatique montante…
LA VIEILLE DAME – Je n'aime pas.

Furibond, L'AUTEUR ouvre la porte de la cuisine et fait sortir un personnage bâillonné et ligoté dans un fauteuil roulant. La tête de l'homme pend d'une façon inquiétante.

L'AUTEUR (il ne lit plus, mais joue cette fois) – Bonjour mon Colonel. Allez, réveillez-vous ! C'est l'heure ! On va prendre le petit déjeuner... Mais... Mais bon Dieu, vous êtes fou ? Mince, mais vous n'allez pas me dire que vous êtes mort ! Mon Colonel... Vous avez passé l'arme à gauche ? Ecoutez, si vous êtes mort, je vous remets dans le placard. Non, mais on ne peut pas continuer comme ça... Là, vous nous avez vachement déçu, mon Colonel. Ça ne se fait pas... Vous n'aviez pas le droit, mon Colonel... Maintenant il y aura une place vide à table... Ah, ça m'embête, ça... (L'AUTEUR se tourne vers les spectateurs comme s'ils étaient d'autres personnages ligotés et bâillonnés.) Vous voyez ? Monsieur le Colonel nous a trahis. Je n'aurais pas dû vous écouter... Je vous ai dit qu'il fallait le sortir au moins une fois par semaine... Vous êtes des criminels, des assassins ! Voilà, c'est votre œuvre, le Colonel est mort et nous sommes maintenant seulement trois à table... Et tout mon travail ? Moi aussi j'ai un cœur, monsieur le Colonel... Et vous m'avez brisé le cœur... Ecoutez, je vous remets dans le placard... Mais c'est pour la dernière fois... Si ça se répète, je laisse tout tomber... Je ne jouerai plus le jeu...

L'AUTEUR, le visage transfiguré, se verse un verre de whisky et le vide d'un trait en savourant un certain triomphe.

LA VIEILLE DAME - Et là, on entend des coups à l'intérieur du quatrième placard...

Silence. L'AUTEUR confirme de la tête et frappe doucement la table avec son verre.

LA VIEILLE DAME se lève et va ouvrir la fenêtre. On entend les bruits d'un marché, les cris des commerçants, etc.

LA VIEILLE DAME – Prévisible… Elle est belle cette place. Elle s'appelle comment ?
L'AUTEUR - Saint-Médard. C'est fort comme début, n'est-ce pas ?

LA VIEILLE DAME écoute les bruits de la rue.

LA VIEILLE DAME - T'entends ça ? Ces bruits ? C'est beau... J'aimerais bien que tu abandonnes un jour les paroles et que tu écrives seulement avec les bruits de la ville... Allez, il faut que je te quitte...

LA VIEILLE DAME pose sur la table un petit sablier et se jette par la fenêtre.

L'AUTEUR – Madame… Attendez… Mais ce n'était pas prévu, ça… (Vers le public.) Vraiment, ce n'était pas prévu…

Le colonel sursaute sur son fauteuil roulant, se débat furieusement, avance, lui aussi, vers le public est crie comme il peut.

LE COLONEL – Ce n'était pas prévu... retour en haut de la page


SCENE 2

L'AUTEUR est assis à une table, sur la terrasse d'un café.

LA SERVEUSE apporte un café.

LA SERVEUSE – Voici un auteur. Tous les jours il vient sur cette terrasse pour griffonner des mots dans son cahier. Voilà ce qu'il a déjà écrit aujourd'hui : "Huit heures cinquante-huit. Seul sur la terrasse du café Saint-Médard, Place Saint-Médard. Je viens de demander un café. Une serveuse qui a l’air d’être transparente m’apporte un café très serré. Je n’aime pas le café très serré et je demande un verre d’eau pour allonger mon café. Un serveur qui bouge comme s’il avait une bosse sur le dos m’apporte un verre d’eau. J’allonge mon café. Je bois une gorgée. Je jette un coup d’œil sur le reçu. Sur le reçu c'est marqué: Table 1. Client 0. VOUS AVEZ ÉTÉ SERVI PAR MARIA. 1 café. 2 euros 30. TVA 20.60%. THANK YOU."

Oh, comme c'est beau !
Oh, comme c'est fantastique d'être auteur.
Voilà, ce petit reçu, pour un auteur ça peut être le début d'une pièce. Monsieur l'auteur, comme je suis contente d’avoir eu la chance de vous servir ce matin. C'est moi Maria. C'est marqué sur le reçu. Voilà, maintenant vous savez que j'existe et que vous n'êtes pas seul au monde.

Voilà, messieurs dames, la littérature c’est ça. C’est la banalité de l’observation qui se transforme en révélation. Tout commence sur la terrasse d’un café. Toute personne qui se trouve autour de l'auteur est un personnage potentiel. Les gens qui s’arrêtent brusquement pour parler à leurs téléphones portables... Cette jeune femme aérienne qui se balade avec deux boîtes noires… Ce monsieur rondelet qui passe fier de son T-shirt sur lequel est imprimé un hérisson. Cette vieille dame qui ramasse une bouteille vide tombée à côté d’une poubelle…
Messieurs, mesdames, vous êtes tous ses personnages ! Vous êtes le premier degré de l’écriture. Ses futures pièces se nourrissent de vos gestes simples, de vos visages aperçus le temps d'un éclair... Vous êtes les coups de pouce de la fiction...
Et ces bribes de conversations…

LE SERVEUR (entre et lit les bribes de conversations) - Tu vois ça ?… Merde… C'est fou… Et voilà, on y est... Il est classe, quand même... Et en plus, c'était assez cher... Nicole, tu déconnes et nous, on est à sec! ... Avec le premier on n'a jamais eu de problèmes... (Il part.)

LA SERVEUSE – Et lui, l'auteur, voilà, comme il prend toujours des notes, assoiffé de réalité pour nourrir son inspiration. Tout ça va se transformer, un jour, en fiction. Mais… revenons à la réalité. Il m'appelle.
L'AUTEUR – Mademoiselle…

MARIA s'approche de L'AUTEUR.

MARIA - Oui ?
L'AUTEUR - Un autre reçu, s'il vous plaît…
MARIA - Pardon ?
L'AUTEUR - Je veux dire… Vous avez quoi comme pression ?… Je veux dire… Maria, vous savez, je suis écrivain, et j'ai un grand problème… Pendant que j'écris, comme je dois détourner mes regards vers la feuille blanche, la réalité en profite pour me jouer des tours impossibles…
MARIA – Heineken, Stella, Leffe, Grimbergen…
L'AUTEUR - Vous comprenez ? J'ai besoin que quelqu'un reste vigilant à ma place, et qu'il me dise ce qui se passe autour de moi pendant que j'écris.
MARIA – Je ne comprends pas.
L'AUTEUR – C'est que je suis toujours en retard d'un mouvement, et c'est pour ça que je vous conjure… Pourriez-vous faire ça pour moi ? Surveillez le monde pendant que j'ai les regards plongés dans mes feuilles… Observez, par exemple, si je ne suis pas poursuivi par une vieille dame qui…

MARIA disparaît et revient accompagné par LE SERVEUR. Tous les deux soulèvent brusquement L'AUTEUR et le poussent à la rue.

LE SERVEUR – Allez, dégage, espèce de pervers ! retour en haut de la page

SCENE 15

L'AUTEUR et LA VIEILLE DAME, assis à une table dans un bistrot.
LA SERVEUSE apporte les cartes des menus.

LA VIEILLE DAME (en regardant le menu) - Tu ne veux pas animer un atelier d’écriture ?
L'AUTEUR - Pourquoi ? Vous croyez que je suis déjà mort ?

Pause. Les deux regardent le menu.

LA VIEILLE DAME – Il y a plein de centres culturels qui organisent des ateliers d’écriture...
L'AUTEUR - Moi je pense qu'on ne peut pas écrire si on n'a pas de talent.
LA VIEILLE DAME - Ça n’a rien à voir... Il y a des gens qui n'ont peut-être pas de talent, ou qui ne savent pas s'ils ont du talent, mais qui veulent écrire. C’est tout. Et sans blesser personne, je crois qu’on peut imaginer un atelier d'écriture pour des gens qui n'ont pas forcément de talent, mais qui veulent écrire... Voilà...
L'AUTEUR - Donc, vous pensez que je suis mort.
LA VIEILLE DAME - Il faut donner une chance aux gens qui veulent essayer. Il y a, parfois, des gens qui commencent à écrire à 40, à 50, à 60 ans... et ça devient sérieux... et on se retrouve devant des choses très fortes... Lampedusa a écrit Le Guépard à 60 ans...
L'AUTEUR – Vous prenez une entrée ?
LA VIEILLE DAME - Je n’ai pas très faim.
L'AUTEUR - Moi, j’ai faim.
LA VIEILLE DAME - Tiens, regarde ça. Regarde ce menu à 16 euros. Ah, j’aime bien ça. Une entrée au choix. Un plat au choix. Fromage ou dessert à la fin. Tu vois, la répétition du mot choix... Tu vois comme on est manipulé par de faux mots-clef ? Tout est un choix... La société ne cesse de nous rappeler que nous sommes des êtres libres, pas des bêtes, et que pour s'épanouir il faut absolument qu'on ait la possibilité de choisir...
L'AUTEUR - Mais je ne vois aucune manipulation, là...
LA VIEILLE DAME - Mais si. Tous ces textes nous manipulent. Si tu fais l’analyse sémiotique de la textualité urbaine, tu découvres que tu n’as aucune chance... Ils sont déjà entrés dans ton subconscient et ils te manipulent comme ils veulent... Mais tu n'observes jamais cette gangrène de mots qui nous bouffe... Toi, tu écris à l'abri, dans ta tour d'ivoire.
L'AUTEUR - Mais ce n'est pas vrai.
LA VIEILLE DAME - Non, tu n'as jamais été sensible à la beauté de ces mots primitifs et sans scrupules qui nous assiègent. Tu vois, sur la porte ?
L'AUTEUR - Quoi ?
LA VIEILLE DAME - C’est marqué TIREZ. Et à côté CHEQUE DEJEUNER. Et plus loin... CACOLAC. Ça ne te dit rien ?
L'AUTEUR - Où voyez-vous, CACOLAC ?
LA VIEILLE DAME - A coté de VISA et AMERICAN CARD EXPRESS.
L'AUTEUR - C’est quoi ça, CACOLAC ?
LA VIEILLE DAME - Je ne sais pas. Mais c’est beau. Ça a de la musique, tu ne trouves pas ? CACOLAC. Il ne faut jamais essayer de savoir ce que ça veut dire, CACOLAC. C’est des mots en état vierge, le sens tue la virginité de la parole... Tiens, rien que cet emballage du sachet de sucre... C'est un message, ça... MAISON RICHARD, CAFÉS RICHARD 1892, TORREFACTEUR, SPECIALISTE, EUROSUCRE, DADDY, SUCRE EN POUDRE. C’est magnifique. Tu te rends compte ? Il n’y a qu’à la fin qu’on dit que c’est du sucre... Et ce n’est pas n’importe quel sucre, c’est de l’EUROSUCRE. Regarde dehors. Tout est texte. Tout est littérature. Cette ville est un livre. Cave le Bourgogne. FRUITS MILORD LEGUME. Parking des Patriarches. THÉS, CAFÉS, ÉPICES... Le Moule à Gâteau... Les Panetons... Jeff de Bruges, chocolatier... Plats chauds à emporter... PETIT FORESTIER. LOCATION DE CAMIONS FRIGORIFIQUES. Tu vois... Il y a des mots sédentaires et des mots nomades... Les mots stables, autochtones habitent la place, mais ils sont de temps en temps traversés par des mots passagers. On peut dire que le texte-mère, le texte de base est visité par des mots-comètes... Voilà, écris-moi une pièce avec ces mots ! Les mots qui nous dévorent... Par rapport à cette réalité textuelle, la littérature, c'est du caca, c'est une forme de débilité, c'est du non-sens... Regarde un peu le col de ta chemise... Sur ta chemise, tu dois avoir une étiquette... regarde, qu'est-ce que c'est marqué là ?
L'AUTEUR - FORMA MODUM PARIS Laurier d'or.
LA VIEILLE DAME - Enlève ta montre, regarde le bracelet, qu'est-ce qu'il y a marqué là ?
L'AUTEUR - Authentic Fossil® Product ES-8620. Genuine leather.
LA VIEILLE DAME - Mais c'est une formule magique ! Tu te rends compte ? Tu es le porteur d'une formule magique ! Tu es comme un guérisseur, comme un sorcier... Sauf que tu ne le sais pas, tu ne sais pas utiliser tes formules magiques, tu ne sais pas que les mots t'habitent... Sors ta ceinture, il doit y avoir sûrement quelque chose marqué sur ta ceinture...
L'AUTEUR - 3089 MADE IN FRANCE 85/39 PIERRE BALMAIN Paris Cuir de vachette.
LA VIEILLE DAME - Et le bouclier, regarde le bouclier aussi.
L'AUTEUR - SOLID BRASS.
LA VIEILLE DAME - Tu vois ? Tu vois ? C'est fantastique ! Nous sommes tous des textes. Nous sommes des textes ambulants, des petits poèmes en liberté. Ecoute-moi ça : FORMA MODUM PARIS Laurier d'or. Authentic Fossil® Product ES 8620. Genuine leather. 3089 MADE IN FRANCE 85/39 PIERRE BALMAIN Paris cuir de vachette. SOLID BRASS. T'entends ça ? C'est incroyable ! C'est un poème. C'est un poème des temps modernes ! C'est un pur poème sauvage et lumineux de ce temps moderne de merde ! Là, t'as tout. Le mystère des chiffres qui ne s'imbriquent pas au hasard, la magie des mots propres qui attendent leur sublimation mythologique, tu as la diversité sémantique, tu as tout, tout, tout... C'est le texte corporel pur. Et c'est pur, c'est fort, c'est vrai. Tu te rends compte que tu as un sens seulement grâce à ces mots qui t'habitent ? Enlève tes chaussures, donne-moi tes chaussures, qu'est-ce qu'il y a marqué dans tes chaussures ?
L'AUTEUR - BOOMERANG 42 MADE IN ITALY.
LA VIEILLE DAME - Et la veste, enlève ta veste.
L'AUTEUR - 48 NEW FAST.
LA VIEILLE DAME - C'est tout ?
L'AUTEUR - C'est tout.
LA VIEILLE DAME - Impossible, ça ne peut pas être tout, cherche, mon vieux, cherche, il doit y avoir encore quelque chose...
L'AUTEUR - Il y a un numéro...
LA VIEILLE DAME - Un numéro ! C'est important !
L'AUTEUR - 23054465.
LA VIEILLE DAME - Et après ? Lis-moi tout ça. Mais doucement. Concentre-toi et lis-moi cette étiquette comme si c'était un sonnet de Shakespeare...
L'AUTEUR - LAINE VIERGE. PURA LANA. 100 % COTTON. ALGODON. DOUBLURE FORRO LINING. 50 % ACÉTATE. ACETATO. ACÉTATE. 50% VISCOSE. VISCOSA. VISCOSE.
LA VIEILLE DAME - ACÉTATE. ACETATO. ACÉTATE. VISCOSE. VISCOSA. VISCOSE. O, comme c'est beau ! Oh, mon Dieu, comme c'est beau ! Oh, mon Dieu, comme c'est beau ce texte que tu portes sur toi ! Répète-moi ça !
L'AUTEUR - LAINE VIERGE. COTTON. ALGODON. DOUBLURE FORRO. 50 % ACÉTATE. ACETATO. 50% VISCOSE. VISCOSA.
LA VIEILLE DAME - Plus tendre... VISCOSE, VISCOSA...
L'AUTEUR - FORRO, VISCOSE, VISCOSÉ, VISCOSA...
LA VIEILLE DAME – À voix basse… FORRO, VISCOSE, VISCOSÉ, VISCOSA...
L'AUTEUR - FORRO, PRINCIPAL, VISCOSE, VISCOSÉ, VISCOSA...
LA VIEILLE DAME - Ça, c'est ton âme, mon vieux. C'est la musique de ton âme. C'est le code secret de ton âme. C'est le mot de passe de ton âme. Tu te rends compte ? Le mot de passe de ton âme était inscrit sur ta veste et tu ne savais rien, rien, rien, rien...

Le bruit de papier coupé.

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Un dramaturge est-il le véritable auteur de ses propres pièces de théâtre ? N’est-il pas, en vérité, le jouet de ses personnages à venir, lesquels le manipuleraient telle une marionnette ? C’est la question au départ de cette pièce de Matei Visniec…
Voilà un théâtre qui ne veut pas se prendre pour autre chose que ce qu’il est : un espace de jeu, de parole, hors du temps et de l’espace réel et qui pourtant s’inscrit en lui… Un espace que l’on pourrait qualifier dès lors d’onirique, voire surréaliste, car porte parole incontestable d’un inconscient et de ses signes.

(Hélène Lepine, Rue du théâtre, Avignon, 2009)

C-ie Pli Urgent, Festival d’Avignon off 2000, mise en scène Christian Auger 

C-ie Beaudrin de Parois, au Théâtre Sorano de Toulouse, 2008, mise en scène Jean-Pierre Beauredon

C-ie On est pas là pour se faire engueuler, 2009 Avignon, mise en scène Laetitia Mazzoleni

texte disponible en langue française

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