Les laveurs de cerveaux

THEATRE DECOMPOSE

ou L'homme poubelle

ou Les laveurs de cerveaux

Editions L’Harmattan & L’Institut Français de Bucarest, 1994

Pièce écrite en 1992

Rôles : un, deux, trois, etc… c’est le metteur en scène qui décide

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L’homme enfermé pour la vie dans un cercle, le laveur de cerveaux, l’homme poursuivi par un cheval, le coureur qui ne peut plus s’arrêter, l’illusionniste qui fait disparaître le monde… toute une galerie de personnages derrière un miroir onirique tourné vers le monde. Des monologues et des dialogues qui sont les éléments d'une architecture textuelle pour un théâtre modulaire. Le metteur en scène est invité à réorganiser le matériel, à y choisir un certain "couloir", à imaginer une certaine succession des modules choisis, à utiliser un ou plusieurs comédiens… Le spectacle peut changer d'image tous les soirs si le metteur en scène (ou les comédiens) réorganisent les modules textuels à chaque représentation.


L'homme dans le cercle

Si je veux être seul, je m'arrête, je sors la craie noire de ma poche et je trace un cercle autour de moi. Dans mon cercle, je suis à l'abri. Personne n'a le droit ni le pouvoir de m'adresser la parole si je me trouve dans mon cercle. Personne n'a ni le droit ni le pouvoir d'y entrer, de me toucher ou de me regarder trop longuement.

Quand je suis dans mon cercle, je n'entends plus les bruits de la rue, les vagues de la mer ou les cris des oiseaux. Je peux y rester, sans bouger, aussi longtemps que je veux. Rien de ce qui se passe autour de moi ne m'intéresse plus. Le cercle m'isole du monde extérieur et de moi-même. C'est la félicité totale, c'est la paix.

A l'intérieur du cercle on ne sent plus ni le froid ni la faim ni la douleur. Le temps s'arrête, lui aussi. On plonge dans l'abstraction comme dans un rêve protecteur. On devient le centre du cercle.

Quand je veux sortir du cercle, je tends simplement la main et je coupe la ligne du cercle. Personne ne peut le faire que moi. De l'extérieur, personne ne peut couper le cercle pour moi. Le miracle du cercle consiste dans la sécurité totale qu'il nous offre.

Depuis que le cercle a été inventé, le monde va mieux. Il n'y a plus ni guerres, ni famines, ni catastrophes. La criminalité a baissé. Dès qu'on est pris de nausée, on s'entoure d'un cercle. Dès que quelqu'un nous embête, on entre dans le cercle. Si un voleur pénètre, la nuit, dans notre maison, on s'enferme vite dans le cercle.

Si on part pour un long voyage et qu'on est fatigué, on se repose dans le cercle. Si on n'arrive pas à répondre à une question essentielle, le cercle est le meilleur endroit où méditer. Si la mort s'approche et qu'on ne veut pas mourir, on peut végéter à l'infini dans le cercle.

On ne peut jamais s'enfermer à deux à la fois dans le même cercle. D'aucuns ont essayé, mais ça n'a rien donné. Un cercle pour deux, ça n'existe pas et on est sûr que ça n'existera jamais.

Il y a des gens qui ont essayé d'emmener avec eux, dans le cercle, de petits animaux : chiens, chats, souris. Mais ça n'a rien donné non plus. Si on a, à côté de soi, à l'intérieur du cercle, un autre être vivant, le cercle ne fonctionne plus.

Depuis que les gens ont pris l'habitude d'utiliser le cercle, l'aspect de la ville a totalement changé. Les cercles sont partout. Il y a des gens qui aiment s'installer tout simplement sur le trottoir ou au milieu de la rue en s'entourant du cercle. Il y en a qui n'en sortent plus des jours et des jours durant. Dans les grandes salles d'attente, sur les places publiques, dans les gares, on ne voit que des gens recroquevillés, que l'on dirait oubliés dans leur cercle. Tout ça nous a apporté beaucoup plus de silence et de propreté.

Au début, il fallait avoir une craie noire, magnétique, pour pouvoir tracer le cercle. La craie était assez chère et la plupart des gens ne pouvaient pas s'en acheter. Peu à peu, le prix de la craie a baissé et des craies colorées ont même été mises en vente. Finalement, les mairies ont commencé à distribuer gratuitement des craies à la population.

Aujourd'hui, on sait qu'on n'a même plus besoin d'une craie pour tracer son cercle autour de soi. Le cercle peut être dessiné avec n'importe quoi, un bout de crayon, un rouge à lèvres, une pointe de couteau, une aiguille et même avec l'ongle.

Tout le monde est d'avis que le cercle représente la panacée de tous les temps. Voilà la fin du millénaire et plus aucun homme n'est malheureux.

Les sondages montrent que les habitants de la ville passent plus de cent jours par an dans leurs cercles. On a déjà procédé à un recensement de ceux qui n'ont plus quitté leur cercle depuis cinq ans, dix ans, vingt ans. Sans doute ont-ils pris goût à l'éternité.

Mais je ne cesse  pas de m'inquiéter de certains bruits qu'on a fait courir dernièrement dans la ville. On dit que les cercles cachent quand même un piège, q'on y entre parfois pour n'en plus sortir. On parle de gens bloqués dans leur cercle à leur corps défendant. On prétend que ceux qui vivent dans leur cercle depuis dix ou vingt ans en sont, en réalité, les prisonniers. On dit aussi que, depuis un certain temps, la plupart des cercles n'obéissent plus aux hommes. On dit qu'il y a beaucoup de gens qui, une fois encerclés, découvrent qu'ils ne peuvent plus ouvrir leurs cages.

On dit même qu'ils ne sortiront jamais.retour au menu des extraits

 

L'animal à quatre bouches

– Monsieur ? – Oui ? – Ce petit animal à quatre bouches, c'est à vous ? – A moi, oui. – Si je comprends bien, il est en train de me grignoter les doigts de pieds, n'est-ce pas ? – Oui, il a toujours faim, c'est vrai. – Je n'ai jamais vu pareille créature. – Je crois que c'est le dernier de son espèce. – Etrange. Il me mord les mollets et je ne sens absolument rien. – Il est comme ça : toujours gentil, quoi qu'il fasse. – Mais, que mange-t-il d'habitude ? – De la viande, Monsieur, exclusivement de la viande fraîche. – Et vous croyez qu'il me dévorera en entière ? – Oui, Monsieur. Quand il commence à boulotter quelqu'un, personne ne peut plus l'arrêter. – J'espère que vous ne le promenez pas souvent. – Non, nous sortons une ou deux fois par an. – Alors j'ai eu une très mauvaise idée de passer par-là. – Vous êtes insomniaque ? – Je ne peux jamais m'endormir avant quatre heures du matin. C'est une séquelle de la guerre. J'étais médecin militaire. – Ah bon ! Moi, j'ai travaillé pour le département des fournitures sanitaires. – Mon nom est Kuntz, docteur Kuntz. Enchanté. Moi, je m'appelle Bartoloméo. – Mais comment peut-il engloutir un homme en lui procurant ce plaisir ? – C'est un truc à lui. Il commence par les extrémités… – Ceci dit, il avance assez vite. – C'est parce que vous êtes assez calme. Il y en a qui font du tapage et il n'aime pas ça. – Combien j'ai encore à vivre ? – Cinq minutes environ. – J'ai un paquet de cigarettes dans ma poche. Voulez-vous m'en allumer une ? – Volontiers. – Merci. – Autre chose ? Un mot à votre femme ? – Non, je suis absolument seul. – C'est dur, la solitude. Moi aussi, la solitude m'angoisse. – Oui, mais vous avez votre petit animal… – Je ne vous dis pas comme il est difficile à nourrir. – Il arrive à mon sexe. – J'ai tout essayé avec lui. J'ai voulu le rendre végétarien… – Oh, comme je me sens léger ! Il arrive à mon cœur. – J'ai voulu lui apprendre à boire de l'eau. Pouvez-vous imaginer que cette créature ne s'approche jamais de l'eau ? – Il arrive à mon cou. – En effet, si vous le regardez bien, vous verrez même qu'il vit sans respirer. – Il me regarde maintenant droit dans les yeux. Vous croyez qu'il s'apprête à m'arracher la langue ? – Oui, mais il n'oubliera jamais vos paroles.retour

 

Voix dans le noir (II)

LE PASSANT PRESSÉ – Quelle horreur !
LE GARDIEN D'IMMEUBLE – Un monstre.
LA VIEILLE FEMME AU PANIER – Bon Dieu, mais qu'est-ce que c'est que ça ?
L'HOMME AU SAXOPHONE – On dirait un chien.
LE VIEIL HOMME A LA CANNE – Un chien, ça ?
L'HOMME AU SAXOPHONE – De toute façon, il a une tête de chien.
LE PETIT GARÇON – Maman, viens voir.
LE CHAUFFEUR DE TAXI – Je n'ai jamais vu une créature pareille.
LE GARDIEN D'IMMEUBLE – Moi, je trouve qu'il a plutôt une tête de cerf que de chien.
L'HOMME AU SAXOPHONE – Mais les yeux, ce sont des yeux de chien. Ça c'est sûr.
LA FEMME EN BLEU – Oh là là, quel gorille !
LE GARDIEN D'IMMEUBLE – Madame, ça n'a rien à voir avec un gorille.
LA VIEILLE FEMME AU PANIER – Mais bon Dieu, qui l'a écrasé comme ça ?
LE VIEIL HOMME À LA CANNE – Une voiture noire.
LE GARDIEN D'IMMEUBLE – Ah non, c'était un camion frigorifique.
L'AVEUGLE AU TELESCOPE – En fait, il est tombé du ciel.
LE CHAUFFEUR DE TAXI – Du ciel, ça ?
L'AVEUGLE AU TELESCOPE – Oui, il volait et soudain il est tombé devant la voiture.
LA FEMME EN BLEU – Impossible.
LE VIEIL HOMME À LA CANNE – Et, de toute façon, je ne crois pas que ce soit une tête de cerf. C'est plutôt une tête de sanglier.
LA FEMME EN BLEU – Un sanglier en ville ?
LE PASSANT PRESSÉ – Tout est possible aujourd'hui.
LA VIEILLE FEMME AU PANIER – Dites, vous n'avez pas l'impression qu'il bouge encore ?
LE JEUNE À LUNETTES – Non, madame, il est mort.
LE GARDIEN D'IMMEUBLE – Moi, j'ai l'impression qu'il est mort, mais qu'il nous regarde encore.
LE CHAUFFEUR DE TAXI – Regardez ses lèvres ! Il respire, c'est sûr.
L'HOMME AU SAXOPHONE – Il est moitié chien, moitié sanglier.
LE PASSANT PRESSÉ – Moi, je pense plutôt à un sphinx.
LE VIEIL HOMME À LA CANNE – Pourquoi ? Parce qu'il est noir ?
LA FEMME EN BLEU – Il n'est pas tout à fait noir. Il a aussi des taches blanches sur les côtes.
LE JEUNE À LUNETTES – Il en a des rouges aussi.
LE CHAUFFEUR DE TAXI – Ça, c'est le sang.
L'HOMME AU SAXOPHONE – Il a été carrément écrabouillé.
LE GARDIEN D'IMMEUBLE – Il l'a fait exprès.
LA FEMME EN BLEU – Ah bon !
L'AVEUGLE AU TELESCOPE – Oui, il volait en plein ciel et tout d'un coup il s'est laissé tomber.
LE PASSANR PRESSÉ – Peut-être qu'il s'en est évadé.
L'HOMME AU SAXOPHONE – Mais alors, c'est un ange. Un ange avec des sabots de cheval.
LE VIEIL HOMME À LA CANNE – Non, la crinière est celle d'un cheval, les sabots sont plutôt ceux d'une chèvre.
LA FEMME EN BLEU – Moi, j'ai l'impression qu'il a les larmes aux yeux.
LE PETIT GARÇON – Maman, viens vite !
LE POLICIER – C'est quoi ça ?
L'HOMME AU SAXOPHONE – C'est un fou qui l'a écrasé.
LE GARDIEN D'IMMEUBLE – J'ai tout vu.
LE VIEIL HOMME À LA CANNE – C'était une voiture noire.
LE POLICIER – Mais ça existe, un truc pareil ?
LE JEUNE À LUNETTES – Apparemment non.
LE POLICIER – Mais qu'est-ce qu'il foutait par-là ?
L'AVEUGLE AU TELESCOPE – Il volait.
LE JEUNE À LUNETTES – Il traînait sans doute dans les rues.
LE POLICIER – Qui a vu cet animal vivant ?
L'HOMME AU SAXOPHONE – Personne.
LA FEMME EN BLEU – Il a pleuré avant de mourir.
LE PASSANT PRESSÉ – C'est inadmissible ! Des bêtes comme ça, en toute liberté dans les rues.
L'HOMME AU MIROIR – Elle aurait pu nous dévorer tous.
L'HOMME AU SAXOPHONE – Ce qui m'inquiète beaucoup, ce sont les cornes.
LE POLICIER – Et vous êtes sûr qu'il est bien mort ?
LA FEMME EN BLEU – Moi, j'ai l'impression qu'il a cligné des yeux tout à l'heure.
LE POLICIER – Est-ce qu'il a mugi, bramé ou rugi avant de mourir ?
L'AVEUGLE AU TELESCOPE – Moi, j'ai même entendu quelques mots.
LE POLICIER – Et qu'est-ce qu'il a dit ?
L'AVEUGLE AU TELESCOPE – Je crois qu'il a murmuré…
TOUS – Quoi ? Quoi ? Quoi ?
L'AVEUGLE AU TELESCOPE – …Pardonnez-moi…retour au menu des extraits

 

La folle tranquille

Notre ville a été envahie par des papillons. Ils sont grands, beaux, carnivores. On n'a jamais vu tant de papillons dans la ville. Ils ont tout couvert : les rues, les toits, les voitures, les arbres. Les gens qui se trouvaient dans la rue pendant l'invasion ont été mangés. De ma fenêtre, je vois trois squelettes d'homme et un squelette de chien parfaitement nettoyés. Les papillons attaquent d'abord les cils, les sourcils, les paupières, les lèvres les cordes vocales et les papilles gustatives. Ce sont les plus violemment colorés qui se partagent tout cela. Les autres font le reste.

Pour l'instant, toute la ville est paralysée. Les gens se sont retranchés chez eux et regardent la rue couverte de papillons, par leurs fenêtres couvertes de papillons. Les bestioles semblent s'installer définitivement chez nous. Elles continuent même d'y affluer. La couche de papillons est de plus en plus épaisse, on dirait de la neige colorée.

Notre armée n'a rien pu faire contre les papillons. On a dû s'habituer à eux. On s'est finalement rendu compte que les papillons ne dévorent que les êtres vivants qui font des gestes brusques. Si on bouge très lentement, les papillons ne réagissent pas. On peut même les écraser sous les pieds, ils restent tranquilles et meurent en silence. D'ailleurs, on ne peut avancer dans la rue qu'en les écrasant. Comme ils sont extrêmement fins, presque transparents, les papillons écrasés se fondent doucement dans leur propre matière réduite en poudre.

La vie de la ville continue dans un ralenti total. Pour traverser la rue, monsieur le Général a besoin de presque une demi-heure. Pour arriver au premier bistrot, qui se trouve au bout de la rue, monsieur le Colonel met presque deux heures.

À cause de tout cela et de notre pensée ralentie, on se parle au rythme d'un mot par jour. Et quand nous faisons l'amour, tout va aussi lentement.retour au menu des extraits

 

La folle fébrile


Les papillons carnivores ont été chassés de la ville par les escargots pestilentiels. Ils sont sortis de partout : des entrailles de la terre, des canaux, des caves, des égouts. Ils grimpent sur les murs et sur les fenêtres, en laissant derrière eux de fines traînées visqueuses. Ils ne mangent jamais rien, mais l'odeur qu'ils dégagent est insupportable. Pour ne pas s'écrouler écœurés dans la rue, les gens de déplacent en courant.

Le problème avec les escargots pestilentiels c'est qu'ils pénètrent dans les maisons. On se réveille le matin, on saute de son lit et les pantoufles sont pleines d'escargots. On va à la salle de bains et le lavabo est rempli d'escargots. On ne peut pas se regarder dans un miroir parce que des centaines d'escargots y sont déjà collés comme une gangrène. On va à la cuisine, on coupe le pain en tranches et à l'intérieur du pain on trouve un escargot pestilentiel. Impossible de faire chauffer un peu de lait ou de se faire un café : dans chaque casserole vit déjà un escargot noir aux cornes vertes, extrêmement mobiles. Sur chaque chaise, c'est un grand escargot pestilentiel à l'expression coupable qui te guette. Ils rampent incroyablement vite sur les meubles, sur les rideaux et traînent joyeusement sur le plafond. Dès qu'on ouvre un livre, c'est un minuscule escargot plat qui en tombe. Le vieux gramophone ne marche plus : les escargots y ont fait leur nid. Les tiroirs fermés à clef grouillent, eux aussi, de limaçons qui ont des petits poils sur les cornes.

C'était beaucoup mieux avec les papillons, tout le monde le reconnaît maintenant. On ne peut pas serrer la main à quelqu'un parce qu'un escargot se glisse toujours, à la vitesse d'un éclair, entre les deux paumes. Quand on achète un journal, c'est presque sûr qu'en cherchant l'argent dans sa poche on y trouve un escargot. Les escargots pestilentiels écrasés sous les pieds et sous les roues des voitures ont formé une couche de boue molle où se mêlent le sang et de minces fibres de chair.

Comme les gens courent tout le temps, ils se parlent peu. Ceux qui s'arrêtent pour échanger, malgré tout, quelques mots, risquent d'avoir mal au cœur tout de suite. "Les papillons étaient si propres" dit quelqu'un en crachant. "Et ils étaient vraiment beaux" répond un autre avant de vomir.

Pour vivre avec les escargots pestilentiels, il faut d'abord apprendre à se taire. Chaque mot prononcé laisse à sa place, dans la bouche, un petit escargot pestilentiel.retour au menu des extraits


Voix dans la lumière aveuglante (I)

LE DEUXIEME. Il est là. C'est lui.

LE PREMIER. Il l'a dit ?

LE DEUXIEME. Il ne veut pas.

LE TROISIEME. Mais non…

LE PREMIER. Dites ficelle, Monsieur !

LE TROISIEME. Ficelle.

LE PREMIER. Etrange. Pourquoi il ne veut pas ?

LE TROISIEME. Mais je veux.

LE DEUXIEME. Je ne sais pas. Il s'en fout tout simplement.

LE PREMIER. Pourquoi refusez-vous de dire ficelle ? Jusqu'où pensez-vous pouvoir pousser ma générosité ? Jusqu'où faut-il que j'avale tout ça ?

LE DEUXIEME. Allez, dites ficelle !

LE TROISIEME. Ficelle.

LE PREMIER. Il va le regretter.

LE DEUXIEME. Vous allez le regretter.

LE TROISIEME. Ficelle.

LE DEUXIEME. Eh bien, ça ne peut plus continuer comme ça.

LE PREMIER. Tous ceux qui sont passés avant vous ont dit ficelle. C'est bon à savoir.

LE TROISIEME. Ficelle.

LE PREMIER. Ils ont dit ficelle et ils sont maintenant sains et saufs. Tous.

LE DEUXIEME. Allez, dites ficelle.

LE TROISIEME. Ficelle.

LE PREMIER. Peut-être qu'il n'a jamais dit ficelle auparavant ?

LE DEUXIEME. Possible.

LE TROISIEME. Je l'ai dit, je l'ai dit.

LE PREMIER. Peut-être qu'il ne sait pas dire ficelle.

LE TROISIEME. Ficelle !

LE DEUXIEME. Comment ça, ne pas savoir dire ficelle ? Tout le monde sait dire ficelle.

LE PREMIER. Et alors pourquoi ne veut-il pas dire ficelle ?

LE TROISIEME. Ficelle !

LE PREMIER. Il va nous rendre fous !

LE DEUXIEME. Dites ficelle, malheureux ! Dites ficelle !

LE TROISIEME. Ficelle !

LE PREMIER. Ficelle ! Dites ficelle ! Qu'avez-vous contre nous pour ne pas dire ficelle ?

LE TROISIEME. Ficelle.

LE PREMIER. Regardez-moi bien. Vous me regardez ?

LE TROISIEME. Oui.

LE PREMIER. Dites fi-celle…

LE TROISIEME. Fi-celle…

LE PREMIER. Fi-celle. Allez, dites ficelle et l'affaire est terminée pour vous.

LE TROISIEME. Fi-celle.

LE PREMIER. Allez, soyez pas idiot. Dites ficelle.

LE DEUXIEME. Dites ficelle ou je vous casse la tête !

LE TROISIEME. Ficelle !

LE PREMIER. C'est clair. Il ne dira jamais ficelle, celui-là.

LE DEUXIEME. Exclu. Nous allons le convaincre finalement.

LE TROISIEME. Ficelle !

LE PREMIER. Allez, soyez raisonnable et dites ficelle.

LE PREMIER. Ficelle.

LE PREMIER. Vous voulez que je vous dise une chose ? Moi aussi, j'ai dit ficelle.

LE DEUXIEME. Voilà !

LE PREMIER. Et c'est facile, il faut répéter après un autre : ficelle.

LE TROISIEME. Ficelle.

LE PREMIER. Dites ficelle, dites ficelle pendant qu'il est encore temps.

LE TROISIEME. Ficelle.

LE DEUXIEME. Mais est-ce si difficile de dire ficelle ? Dites-le, Monsieur !

LE TROISIEME. Ficelle.

LE PREMIER. Ficelle ! Ficelle ! Ficelle ! Merde alors, dites-le !

LE TROISIEME. Oui, oui, oui.

LE PREMIER. Mais ouvrez la bouche, dites-le !

LE TROISIEME. Ficelle !

LE DEUXIEME. Je n'ai jamais vu une chose pareille !

LE PREMIER. Vous avez honte de dire ficelle ?

LE TROISIEME. Non, non !

LE PREMIER. Alors dites ficelle !

LE TROISIEME. Ficelle.

LE PREMIER. Incroyable ! Qu'est-ce qu'on fait ?

LE DEUXIEME. Ne vous imaginez pas, Monsieur, que vous n'allez pas le dire ! Vous m'entendez ? Ne vous imaginez pas que vous allez vous en tirer sans avoir dit ficelle ! Sortez ça de votre tête ! Personne ne s'échappe d'ici sans dire ficelle ! Vous pigez, espèce d'enfoiré, vous pigez ?

LE PREMIER. Lui aussi, même lui, il a dit ficelle.

LE DEUXIEME. Oui.

LE PREMIER. Nous avons dit ficelle tous les deux.

LE DEUXIEME. Oui.

LE PREMIER. Et voilà… comme je sais danser le menuet.

LE DEUXIEME. Et voilà… comme je sais danser le menuet.

LE PREMIER. Dites ficelle, Monsieur !

LE DEUXIEME. Allez, dites ficelle !

LE TROISIEME. Ficelle ! Ficelle ! Ficelle !

LE PREMIER. Oh, mon Dieu, ça c'est trop !

LE DEUXIEME. Ça va finir mal, mal, mal.

LE PREMIER. Dites ficelle et fichez le camp.

LE TROISIEME. Ficelle.

LE PREMIER. Dites ficelle et nous allons tout oublier.

LE TROISIEME. Ficelle.

LE DEUXIEME. Je cogne ?

LE PREMIER. Vous voulez qu'on vous passe à tabac ?

LE TROISIEME. Ficelle !

LE PREMIER. Ou peut-être vous ne savez pas ce que veut dire ficelle ?

LE DEUXIEME. Je doute qu'il ne le sache pas.

LE PREMIER. Il y en a qui ne savent pas ce que ficelle signifie.

LE DEUXIEME. Comment ça, Monsieur, vous ne savez pas ce que ficelle signifie ?

LE TROISIEME. Je sais.

LE DEUXIEME. Il sait.

LE PREMIER. Pourquoi vous taisez-vous alors ?

LE TROISIEME. Ficelle.

LE PREMIER. De tout votre cœur ! Allez !

LE TROISIEME. Ficeeeelle…

LE DEUXIEME. Quelle catastrophe !

LE PREMIER. Dites-le au moins, bon Dieu, pour qui vous vous prenez ?

LE DEUXIEME. Vous verrez, après quelques jours vous allez quand même dire ficelle.

LE PREMIER. Il y a des gens qui ont dit ficelle après une semaine.

LE DEUXIEME. Il y a des gens qui ont dit ficelle après un an.

LE PREMIER. Ou après dix ans.

LE DEUXIEME. Ou après vingt ans.

LE PREMIER. Il est impossible qu'on ne dise pas ficelle.

LE DEUXIEME. Je vous jure que vous allez dire ficelle un beau jour.

LE TROISIEME. Ficelle… ficelle… ficelle…

LE PREMIER. C'est dommage pour un homme aussi jeune que vous…

LE TROISIEME. Ficelle.

LE PREMIER. Vous allez vous ruiner et c'est bien dommage pour un homme aussi bien que vous.

LE TROISIEME. Ficelle.

LE DEUXIEME. Elle vit encore, votre mère ?

LE TROISIEME. Ficelle.

LE PREMIER. Ce sera dommage pour votre mère aussi.

LE TROISIEME. Ficelle.

LE DEUXIEME. Dès frères, vous en avez ? Une sœur ? Ce sera dommage pour votre sœur.

LE TROISIEME. Ficelle.

LE PREMIER. Vous n'aurez plus jamais une chance pareille.

LE TROISIEME. Ficelle.

LE PREMIER. Personne ne se souciera de vous.

LE TROISIEME. Ficelle.

LE PREMIER. Existence inutile. Passage inutile sur la terre. Rien. Zéro. Néant. Poussière. Précipice. Vide. Ame dégonflée. Voilà !

LE TROISIEME. Ficelle, ficelle, ficelle, ficelle, ficelle, ficelle, ficelle, ficelle.

LE PREMIER. Vous croyez que pour nous c'est facile ?

LE DEUXIEME. Vous croyez que peut-être nous ne voulons pas la même chose ?

LE PREMIER. Nous avons tous le même but, mettez-vous bien ça dans votre tête.

LE DEUXIEME. Pensez à ce que vous voulez, mais dites ficelle.

LE TROISIEME. Ficelle…

LE DEUXIEME. Fermez les yeux et dites ficelle.

LE TROISIEME. Ficelle.

LE PREMIER. Respirez de tous vos poumons. Ouvrez vos oreilles. Essayez de parler avec la bouche fermée. Dites ficelle avec la bouche fermée. Vous pouvez ?

LE TROISIEME. Je peux.

LE PREMIER. La bouche fermée, les oreilles couvertes… Mmmsss…

LE TROISIEME. La bouche fermée, les oreilles couvertes… Ficelle.

LE DEUXIEME. Regardez-moi ! La bouche fermée, les oreilles couvertes, les yeux fermés… Mmmsss…

LE TROISIEME. La bouche fermée, les oreilles couvertes, les yeux fermés… Ficelle.

LE PREMIER. Mettez-vous sur le ventre et pensez ficelle.

LE TROISIEME. Oui, oui, oui.

LE DEUXIEME. Vous pensez ? Hein ? Pensez ! Allez, pensez ! Vous pensez ? Allez, pensez…

LE PREMIER. Pensez, pensez… Ficelle… Ficeeelle… Ficeeelle…

LE DEUXIEME. Vous pensez ? Vous pensez ou non ?

LE PREMIER. Il pense ou il ne pense pas ?

LE DEUXIEME. Il ne pense pas.

LE PREMIER. Il ne pense pas ?

LE TROISIEME. (en s'étouffant) Ficelle ! Ficelle ! Ficelle !

LE PREMIER. Espèce de pourriture !

LE DEUXIEME. Quel cochon ! Quel cochon ! Quel cochon !

LE TROISIEME. Ficelle.

LE PREMIER. Espèce de rien.

LE DEUXIEME. Avorton !

LE PREMIER. Espèce d'ascaride ! Résidu bouilli que vous êtes !

LE TROISIEME. Ficelle.

LE DEUXIEME. A genoux, fainéant !

LE PREMIER. Même Dieu dit ficelle ! Vous pigez ? C'est ça que Dieu dit dans votre cerveau pourri. Ficelle.

LE DEUXIEME. Oui.

LE PREMIER. Ecoutez ! Taisez-vous et écoutez ! Que chante-t-il, Dieu, dans votre cerveau ? Vous entendez comme il murmure ficelle ?

LE TROISIEME. J'entends.

LE PREMIER. Alors pourquoi ne dites-vous pas ficelle ?

LE DEUXIEME. Nul n'est fait pour ne pas dire ficelle. Tout ce qui est fait par Dieu dit ficelle.

LE TROISIEME. Ficelle.

LE DEUXIEME. Et en plus, nous savons que vous avez déjà dit ficelle.

LE PREMIER. Voilà, nous savons tous que vous avez déjà dit, oui, que vous avez déjà dit ficelle.

LE DEUXIEME. Moi, je connais même quelqu'un qui l'a entendu dire ficelle.

LE PREMIER. Voilà, le monsieur connaît même quelqu'un qui vous a entendu dire ficelle.

LE DEUXIEME. Et qui est moi-même !

LE PREMIER. Voilà, et qui est le monsieur même.

LE DEUXIEME. Oui, moi, moi personnellement, je l'ai entendu moi-même quand il disait ficelle.

LE PREMIER. Voilà, voilà, voilà ! C'est insensé, c'est insensé, c'est vraiment insensé alors de ne pas dire ficelle. Pourquoi ne voulez-vous plus dire ce que vous avez déjà dit ?

LE TROISIEME. Ficelle.

LE DEUXIEME. Voulez-vous passer à notre place ? Dites ficelle et vous passerez à notre place.

LE TROISIEME. Ficelle.

LE PREMIER. Demandez-nous de dire ficelle. Vous m'entendez ?

LE TROISIEME. Oui.

LE PREMIER. Dites-moi de dire ficelle.

LE TROISIEME. Ficelle.

LE DEUXIEME. Et moi aussi. Demandez-moi de dire ficelle.

LE TROISIEME. Ficelle.

LE PREMIER. Sommez-moi de dire trois fois ficelle.

LE TROISIEME. Dites-le, dites-le, dites-le !

LE PREMIER. Ficelle ! Ficelle ! Ficelle !

LE DEUXIEME. Et moi aussi ! Et moi aussi ! Trois fois, demandez-moi de dire trois fois ficelle.

LE TROISIEME. Oui ! Oui ! Oui !

LE DEUXIEME. Ficelle ! Ficelle ! Ficelle !

LE PREMIER. Et maintenant tous trois ! Disons tous trois ficelle ! Un, deux, trois !

TOUS TROIS. Ficelle ! Ficelle ! Ficelle !retour au menu des extraits

 

Le laveur de cerveaux (I)

Onze propositions pour le grand public.

1. Vous êtes stressé ? Angoissé ? Déçu ? Aliéné ? Vous êtes tourmenté par des doutes existentiels ? Vous avez peur de la vieillesse ou de la mort ? Qu'à cela ne tienne ! Le lavage de cerveau est fait pour vous !

2. Nous sommes encore, tous, les prisonniers de l'âge où on vivait dans les cavernes. Quatre mille ans de civilisation n'ont pas effacé un million d'années d'anxiété. Notre espèce est malade de son passé brutal et irrationnel. Les résidus sub-humains qui traînent dans nos cerveaux représentent le lest qui nous empêche de voler. Le lavage du cerveau coupe le cordon ombilical qui nous attache à la bête sauvage oubliée en nous.

3. La science prouve que tous les maux qui secouent notre vie ont leur origine en nous-mêmes. Retournons-nous vers nous-mêmes pour nous guérir ! Le lavage de cerveau est la seule thérapie qui s'attaque directement aux causes de nos malheurs.

4. Le lavage de cerveau n'est aucunement dangereux pour la santé. Il ne change ni la personnalité ni la mentalité de ceux qui y ont recours. Les fonctions vitales du cerveau (la mémoire, l'imagination, le raisonnement) ne sont en aucune manière affectées. L'opération du lavage porte seulement sur les impulsions morbides de notre subconscient.

5. L'animalité ancestrale est la source de l'individualisme et de l'égoïsme, c'est elle qui compromet l'harmonie sociale. Par le lavage de cerveau nous nous débarrassons de cette carcasse de primitivisme et nous nous rapprochons de nos semblables.

6. Le lavage de cerveau nous offre la porte d'un abri sûr contre les cauchemars de toutes sortes, contre la folie, contre la double personnalité.

7. Grâce au lavage de cerveau, nous pouvons enfin purifier notre nature intime : le poids de l'animalité y est allégé afin que l'humain triomphe dans la balance. Le lavage de cerveau équivaut à un second baptême de notre être.

8. C'est ainsi que nous pouvons nous rapprocher infiniment de Dieu. La purification de l'être est aussi purification de l'âme. De la hauteur de la perfection de notre âme, Dieu est plus accessible.

9. Le lavage de cerveau réinstalle au centre de notre être l'essentiel de nous-mêmes. Nous cessons d'être un labyrinthe, nous devenons le miroir pur de l'univers entier.

10. Avec le lavage de cerveau nous acquérons l'immortalité : car nul n'est plus proche de l'immortalité que celui qui a vaincu toute peur en lui, la peur de la mort incluse.

11. Le lavage de cerveau est la liberté idéale, la force de vivre pleinement l'extase individuelle et sociale, l'accès au bonheur suprême. Venez nombreux, Messieurs, Mesdames, aux centres de lavage ; les meilleurs spécialistes et conseillers sont mis gratuitement à votre disposition !retour au menu des extraits


Le laveur de cerveaux (II)

Onze propositions plus ou moins constitutionnelles.

(à l'attention des cadres en charge de l'administration et de l'ordre public)

1. Dans notre pays, le lavage de cerveau est gratuit et obligatoire. Chaque citoyen doit se laver le cerveau au moins une fois par an.

2. Il est recommandé que tous les membres de la même famille fassent leur lavage annuel de cerveau ensemble. Dans ce but, il est souhaitable que chaque chef de famille penne rendez-vous dès le début de l'année.

3. Le gouvernement a ouvert des centres de lavage régionaux, départementaux et municipaux. Pratiquement, chaque communauté de 3000 habitants a son centre de lavage. Tout atteinte (dommage matériel, pillage, incendie) à un centre de lavage sera sanctionnée par un lavage total de cerveau du ou des coupables.

4. Pour les personnes en déplacement, il y a des centres de lavage spécialement aménagés dans des gares, les aéroports, les ports et à chaque péage sur les autoroutes.

5. Après chaque lavage de cerveau un tampon sera apposé à la carte nationale d'identité.

6. Ceux qui essaient de se soustraire au lavage de cerveau seront déclarés ennemis de l'harmonie sociale.

7. Chaque citoyen du pays a le devoir impératif de dénoncer les ennemis de l'harmonie sociale.

8. Toute personne qui considère que, pour une raison ou une autre, le lavage annuel de cerveau ne suffit pas, a le droit et le devoir de demander un ou plusieurs lavages supplémentaires. Toutefois, il est défendu de faire plus de cinq lavages de cerveau par an.

9. Le gouvernement, grâce aux investissements massifs dans la recherche, est en train de mettre au point les premiers appareils de lavage individuel de cerveau. Il n'est pas loin le jour où chaque famille, et même chaque citoyen du pays, aura son propre appareil portatif de lavage.

10. Il faut absolument qu'un lavage de cerveau, exécuté aussitôt après la coupure du cordon ombilical, préside à l'entrée dans la vie sociale de chaque nouveau-né. L'expérience prouve que les personnes qui ont bénéficié d'un lavage immédiatement après la naissance ou même dans la phase utérine s'adaptent mieux à l'harmonie sociale.

11. Les personnes qui s'opposent au lavage de cerveau, même après leur deuxième ou troisième lavage total du cerveau, seront kakonnées de leur cerveau.retour au menu des extraits


Le laveur de cerveau (III)

Onze réglementations concernant le bon fonctionnement des centres de lavage

(à l'usage exclusif du personnel chargé du lavage et de l'entretien des centres)

1. Dans les centres de lavage doit régner une propreté parfaite. Il est souhaitable que les salles d'attente dégagent une odeur de roses.

2. Avant l'opération de lavage, il faut que les gens observent un moment d'attente. Une salle d'attente ne doit jamais être vide. Quand une famille arrive, elle doit trouver dans la salle au moins une autre famille joyeuse qui attend son tour. Les figurants en service dans chaque centre de lavage doivent faire de leur mieux pour entretenir une atmosphère de confiance, de communication.

3. Le personnel doit être poli, mais point trop poli. Il doit créer l'impression d'être débordé de travail, d'être même un peu fatigué. Les gens doivent absolument croire que le lavage est fait uniquement dans leur intérêt.

4. Dans la salle de lavage on ne doit jamais trouver la moindre trace de sang, de salive ou d'urine. La lumière sera douce, l'air frais et la musique rassurante.

5. Il faut que le patient coopère dès le début avec le laveur de cerveaux. Si le laveur juge que le patient fait seulement semblant de coopérer, il peut passer directement au lavage total.

6. Mais si le patient a seulement peur du lavage, il est, en principe, récupérable. Prétextant l'affluence et l'encombrement, le laveur lui donnera un autre rendez-vous. Si nécessaire, le patient sera renvoyé plusieurs fois, jusqu'à ce que l'exaspération ait eu raison de sa peur.

7. Si un patient succombe pendant le lavage, c'est que le vide à tué une mémoire factieuse. Le laveur continuera à laver le cerveau en question même après la mort clinique de ce cerveau.

8. On signale depuis un certain temps une catégorie d'individus pervers qui se rend par plaisir aux centres de lavage. Selon nos experts, le lavage de cerveau et la sensation de vide leur procureraient une volupté infinie.

9. Les pervers du lavage de cerveau sont aisément reconnaissables : ils se déclarent ouvertement ennemis de l'harmonie sociale pour être soumis encore et encore au lavage total de cerveau. Dans la mesure du possible, ces drogués du lavage seront employés comme figurants dans les salles d'attente.

10. À la fin de la journée de travail, les laveurs se laveront le cerveau mutuellement. En effet, après un certain nombre d'heures de travail, le laveur court le risque d'être contaminé par les résidus des mémoires qu'il a lavées.

11. Si le vidangeur de mémoire succombe, pour sa part, pendant un lavage, c'est que la mémoire factieuse du patient a tué le vide. Dans la mesure du possible, le laveur continuera le lavage, même après sa propre mort.retour au menu des extraits

 

Le coureur

Je ne peux plus m'arrêter. C'est la première fois que ça m'arrive. Je suis sorti comme d'habitude, ce matin, pour mon tour d'entraînement, j'ai couru quelques centaines de mètres et j'ai réalisé tout de suite que je ne pouvais plus m'arrêter.

Quand je suis passé devant le kiosque à journaux, le vendeur m'a dit : "Bonjour". J'ai voulu ralentir pour lui répondre, j'ai tourné la tête, mais j'étais déjà loin.

C'est drôle comme les passants ne se rendent pas compte de ce qui m'arrive. Ils savent que je suis le marathonien de la ville, que je cours toujours aux même heures sans m'arrêter et en suivant toujours le même trajet. Les gens sont habitués à moi. D'habitude, je les salue en courant, je réponds en courant à leurs questions, je leur fais des signes d'amitié en courant.

Mais cette fois, je ne peux plus m'arrêter pour de bon. Et, en plus, il m'est impossible de tourner à gauche ou à droite, je suis forcé de courir tout droit. C'est clair, il y a quelque chose qui ne va pas. Mais quoi ?

Je m'approche des confins de la ville. Les gens me regardent toujours avec admiration. "Ça va ?" me dit monsieur Kuntz, et je lui crie : "Ça va pas". Mais je suis déjà loin, très loin, il ne m'a pas entendu… Oh, bon Dieu, ils ne cessent plus de m'applaudir… Et madame Cantonnelli, avec toutes ses exclamations… "Comme il est rapide ! Comme il est souple ! Comme il est gracieux !…"

– J'en ai marre, Madame, j'en ai marre…

Je commence à avoir le vertige. Décidément, mon corps n'écoute plus les commandes de mon cerveau.

– Au secours !

Tiens, comme ils traînent sur les terrasses et dans les cafés ! Ils n'ont rien à foutre toute la journée que siroter tranquillement leurs bières et leurs pastis. Et de regarder comme je cours. Oh, merde, arrêtez, arrêtez de dire que je suis discipliné, que je suis beau, que je suis sage, que je suis fort, que je déborde de volonté ! Arrêtez, car je ne peux plus m'arrêter !

– Arrêtez-moi, s'il vous plaît, arrêtez-moi !

Evidement, ils ne m'entendent pas.

– Monsieur Pippidi ! Monsieur Pippidi…

C'est le boulanger… Il m'envoie un baiser, le con…

Et voilà le dernier café de la ville, les dernières maisons, voilà le mur d'enceinte. Je suis tout en sueur. Pour la première fois de ma vie, je sens que j'ai peur. Voilà la dernière rue à gauche, mais je ne peux pas tourner à gauche. Voilà la dernière rue à droite, mais je ne peux pas tourner à droite. Je fais un effort surhumain pour m'arrêter devant la porte de la ville, mais je n'arrive pas.

– Au secours ! Au secours !

Ma dernière chance : les trois vieillards qui sont toujours à leur poste, assis sur leur banc, en plein soleil, devant la porte de la ville… Chaque fois que je passe devant eux, le premier dit : "Très doué ce coureur". Et le deuxième : "Il est beau comme un ange". Et le troisième : "C'est sûr qu'il va gagner". Mais pendant qu'ils tournent leurs têtes pour me regarder, je disparais à l'horizon.

Je suis quand même content de pouvoir regarder derrière moi. La ville n'est qu'une forme vague qui devient de plus en plus petite. Merde, ce sont des larmes, ça ? J'ai commencé à pleurer ? Bon, voilà, je cours et je pleure. Maintenant, je ne sens ni la fatigue, ni la peur. Je pleure tout simplement. Et je ne comprends rien. Je sens seulement les larmes couler sur mon visage. Elles me refroidissent. Je ne peux plus lever les bras pour m'éponger. Mes bras sont paralysés, comme pour m'assurer le meilleur profil aérodynamique. Cela m'aide à courir comme un bolide. Je fonce, je fonce, et avec ma tête, un peu penchée en avant, je creuse dans l'air un corridor idéal.

La route est presque déserte. De temps en temps, des voitures roulent en sens inverse. Je ne crie plus au secours. Je souris seulement aux chauffeurs et les chauffeurs me font des signes amicaux. Je suis en train de traverser une forêt. J'ai abandonné la route, car elle faisait une courbe et moi, je suis forcé de suivre la ligne droite. Je prends un sentier. Je monte une colline. Je descends une vallée. Je n'ai plus la force de penser. Je regarde seulement le paysage. À présent, mon principal souci c'est d'éviter les arbres. Quand on court si vite, les arbres deviennent dangereux.

La nuit tombe, mais je cours toujours. Je traverse un village inconnu et ensuite une nouvelle ville, inconnue. Les gens dorment à cette heure-là et personne ne sait que je suis le seul être vivant à courir dans la nuit.

Ou plutôt dans le noir. Les lumières de la dernière ville ont disparu. Je ne vois plus rien devant moi. Les arbres et les pierres, je les évite de justesse, grâce à mon instinct. Mais parfois, les oiseaux de nuit se heurtent à moi. Je compte mes blessures. Je pense que j'ai tué déjà pas mal d'oiseaux. Et même des animaux plus grands, que j'ai écrasés sans le vouloir. De plus en plus souvent, j'entends des cris sauvages, des hurlements de douleur.

Enfin, le petit matin… Je ne suis qu'une blessure qui court. Derrière moi, une fine trace de sang. Devant, une chaîne de montagnes. L'air est froid, il va pleuvoir. C'est bon, ça, la pluie va laver mes blessures. Derrière ces montagnes que je monte en courant, se trouve la mer. Et vous savez, dans la mer, il faut toujours entrer propre.retour au menu des extraits

 

Voix dans la lumière aveuglante (II)


LE REVOLUTIONNAIRE (monté sur un tonneau) – La solution ?
LA FOULE – La solution ! La solution !
LE REVOLUTIONNAIRE – La sortie ?
LA FOULE – La sortie ! La sortie !
LE REVOLUTIONNAIRE – La voie ?
LA FOULE – La voie ! La voie !
LE REVOLUTIONNAIRE – Révolution !
LA FOULE – Oooo !
LE REVOLUTIONNAIRE – Révolution !
LA FOULE – Aaaa !
LE REVOLUTIONNAIRE – Révolution ! Exploitation ! Liquidation !
LA FOULE – Aaaa !
LE REVOLUTIONNAIRE – Liberté ! Egalité ! Fraternité !
LA FOULE – Oooo !
LE REVOLUTIONNAIRE – Pouvoir.
LA FOULE – Aaaa !
LE REVOLUTIONNAIRE – La nation ! Le peuple ! Les pauvres !
LA FOULE – Oooo !
LE REVOLUTIONNAIRE – La volonté ! La vérité ! Le droit ! Les principes ! La propriété ! Les terres…
LA FOULE – Les terres ! Les terres !
LE REVOLUTIONNAIRE – La bouffe… La légitimité… La démocratie… Les journaux… la parole…
LA FOULE – La parole ! La parole ! La parole !
LE REVOLUTIONNAIRE – La république !
LA FOULE – Aaaa !
LE REVOLUTIONNAIRE – Unique ! Indivisible ! Eternelle ! Pure !
LA FOULE – République ! République ! République !
LE REVOLUTIONNAIRE – La Constitution !
LA FOULE – Unique ! Indivisible ! Eternelle ! Pure !
LE REVOLUTIONNAIRE – La patrie ! L'assemblé ! Les travailleurs ! Le travail… Le pain… La famille… (Il commence à pleurer.) La maison… Les enfants… L'école… La propreté… (Furibond.) L'avenir ! Le rêve ! Le soleil ! La lumière !
LA FOULE – La lumière ! La lumière !
LE REVOLUTIONNAIRE (impitoyable) – Les cochons… Les salauds… Les voleurs… Les parasites… Fini !
LA FOULE – Fini ! Assez ! Terminé !
LE REVOLUTIONNAIRE – Les nobles… Les bourgeois… Les banquiers… Les propriétaires… Les officiers… Les généraux… Les cardinaux… Les prêtres… Les fonctionnaires… Les juges…
LA FOULE – Fini ! Assez ! Terminé !
LE REVOLUTIONNAIRE – Les ministres…
LA FOULE – Les ministres. Les ministres.
LE REVOLUTIONNAIRE – Fini !
LA FOULE – Assez !
LE REVOLUTIONNAIRE – Terminé !
LA FOULE – Hourra !
LE REVOLUTIONNAIRE – Le roi !
LA FOULE (choqué) – Le roi ?
LE REVOLUTIONNAIRE – Le roi ! Le roi !
LA FOULE – Merde ! Le roi ?
LE REVOLUTIONNAIRE – Le roi ! Le roi ! Fini ! Assez ! Terminé !
LA FOULE – Fini ? Assez ? Terminé ?
LE REVOLUTIONNAIRE – Oui ! Le roi !
LA FOULE – D'accord !
LE REVOLUTIONNAIRE – À mort ! À mort !
LA FOULE – Fini ! Assez ! Terminé !
LE REVOLUTIONNAIRE – La reine !
LA FOULE – Merde ! La reine ?
LE REVOLUTIONNAIRE – La reine ! La reine ! Fini ! Assez ! Terminé !
LA FOULE – D'accord ! La reine ! Fini ! Assez ! Terminé !
LE REVOLUTIONNAIRE – Le dauphin !
LA FOULE – Le dauphin ?
LE REVOLUTIONNAIRE – Maintenant !
LA FOULE – Oh…
LE REVOLUTIONNAIRE – Maintenant ! Maintenant ! Maintenant ! Le dauphin ! Fini ! Assez ! Terminé !
LA FOULE (en liesse) – Maintenant ! Maintenant ! Maintenant !
LE REVOLUTIONNAIRE – Les idoles !
LA FOULE (en liesse) – Maintenant ! Maintenant ! Maintenant !
LE REVOLUTIONNAIRE – Dieu !
UN HOMME DANS LA FOULE (choque) – Dieu ? !
LE REVOLUTIONNAIRE – Fini ! Assez ! Terminé !
LA FOULE – Fini ? Assez ? Terminé ? Le Dieu ?
LE REVOLUTIONNAIRE – Le Dieu ! Le Saint-Esprit ! La Trinité ! Fini ! Assez ! Terminé !
LA FOULE – Le Dieu ? Le saint-Esprit ? La Trinité ? Terminé ?
LE REVOLUTIONNAIRE – Maintenant !
LA FOULE – Maintenant ?
LE REVOLUTIONNAIRE – Maintenant ! Maintenant !
LA FOULE (longue consultation) – Le Dieu ? Le Saint-Esprit ? La Trinité ? Maintenant ?
LE REVOLUTIONNAIRE – Maintenant ! Aussitôt ! Maintenant !
LA FOULE – D'accord !
LE REVOLUTIONNAIRE – Danton !
LA FOULE – D'accord ! Fini ! Assez ! Terminé !
LE REVOLUTIONNAIRE – Marat !
LA FOULE – Fini ! Assez ! Terminé !
LE REVOLUTIONNAIRE – Saint-Juste !
LA FOULE – Fini. Assez !Terminé !
LE REVOLUTIONNAIRE – Robespierre !
LA FOULE – Fini ! Assez ! Terminé !
LE REVOLUTIONNAIRE – Victoire ! Victoire ! Victoire !
LA FOULE (en lynchant LE REVOLUTIONNAIRE) – Fini ! Assez ! Terminé !
LE REVOLUTIONNAIRE (en mourant) – Merde ! Merde ! Merde !
LE PREMIER HOMME DE LA FOULE (en montant sur le tonneau) – Victoire ! Victoire ! Victoire !
LA FOULE (en tuant LE PREMIER HOMME DE LA FOULE) – Fini ! Assez ! Terminé !
LE PREMIER HOMME DE LA FOULE (en mourant) – Merde ! Merde ! Merde !
LE DEUXIEMEHOMME DE LAFOULE (en montant sur le tonneau) – Victoire ! Victoire ! Victoire !
LA FOULE (en tuant LE DEUXIEME HOMME DE LA FOULE) – Fini ! Assez ! Terminé !

Etc.

LE DERNIER HOMME DE LA FOULE (il regarde autour de lui, il voit qu'il est resté tout seul, il devient fou) Merde ! Merde ! Merde !

 

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Visniec, maître de l’écriture laconique et du petit format concentré, livre non pas de fragments, mais des véritables monades, textes autonomes, ronds, « tableaux d’une exposition ». Il déteste l’inachevé et cultive le texte accompli, soigné, poli, comme une pierre aux aspérités effacées afin que l’énigme surgisse et que le trouble s’installe.

(George Banu)


Travailler, pour un comédien, ou un metteur en scène sur un texte de Matéi Visniec, c'est tout d'abord un plaisir des sens. Dès la première lecture on perçoit au plus profond de notre être comme la vibration d'un grand bateau qui nous propulse vers une destination que déjà nous avons pu pressentir, la sensation d'un grand volant qui tourne dans notre chair. Le plaisir du mot, le délire du langage. Et au fur et à mesure que la lecture avance, le bord de nos lèvres se distend et à force de petits cris, de rire plein la bouche on atterrit fatigué, repu et rompu dans un monde qui parfois est bien le nôtre. Alors on ouvre la fenêtre et essayant de regarder et de percer la pensée de l'humain on s'aperçoit avec stupéfaction que Matéi Visniec n'avait que quelques longueurs d'avance pour nous décrire des situations, nous donner des personnages que nous ne pouvions pas encore soupçonner.

(Yvan ROMEUF  metteur en scène, Yvan ROMEUF dirige à Marseille la compagnie L'EGREGORE et a monté "Théâtre décomposé ou l'homme poubelle")

 

En découvrant cette œuvre j'ai ressenti un véritable coup de cœur ! Une boulimie de lire. J'ai dévoré, avalé. Je me suis délectée, régalée en lisant et relisant sans jamais me lasser tant le plaisir était grand et j'ai pris mon temps pour digérer car l'œuvre est difficile, dense. Le style de l'écriture, quant à lui, est sobre et efficace. Les textes sont étranges, troublants, inquiétants. Ils m'ont stimulée sur le plan de l'imaginaire car ils sont empreints de surréalisme, de poésie, d'humour grinçant, d'absurde. Cet univers là : j'adore. L'œuvre dérange. Elle n'est pas innocente car si Visniec ne porte pas de jugement moral, il nous incite à réfléchir et nous met en garde. L'auteur nous tend une miroir dans lequel se reflètent nos interrogations sur l'Homme, ses difficultés à communiquer et à vivre dans une société qui fait place aux aliénations de toutes sortes. C'est un univers où les personnages et les situations sont décalés par rapport à la réalité. En effet, il ne s'agit pas de notre réalité, nos repères s'écroulent et pourtant cela nous renvoie à nos angoissent, à nos peurs, à nos doutes. Visniec s'exprime de façon voilée ou détournée mais la vérité est sous-jacente et toujours prête à bondir, à se découvrir à travers la parabole. Ses personnages sont déséquilibrés, leurs pathologie relève du domaine psychiatrique. Ils souffrent de psychose, de paranoïa, d'hallucinations auditive, dues à l'isolement, la guerre, la solitude, le lavage de cerveau… Chaque personnage possède une folie qui est la sienne avec sa sensibilité, sa lucidité, sa logique et chacun s'achemine vers la destruction inéluctable.

(Marie-Claude Le Stanc, metteur en scène  ; Marie-Claude Le Stanc dirige à Paris la Compagnie LES ARTS MASQUES et a signé en 2000 la mise en scène du "Théâtre décomposé ou l'homme poubelle")

 

A travers une série de fables burlesques à l’univers insolite, cercles dont on ne sort pas, boîte de Pandore, bestiaire poétique et mortifère, Matéi Visniec explore avec une ironie surréaliste et cruelle les dérives de notre société. Un spectacle sur le thème de la deshumanisation.

(Cahier programme - Théâtre International de langue française)

 

En écoutant ce texte, on ne peut pas s’empêcher de penser que décidément, les écrivains qui ont vécu sous un régime totalitaire inventent nécessairement une vision du monde et une écriture bien particulière. Un monde où l’individu est broyé, et peine à savoir qui il est, une écriture pleine de résistance et de vigueur, qui illustre au plus juste l’absurdité et la toute puissance des forces qui gouvernent et dévorent les vie. Le roumain Matéi Visniec est un exemple emblématique de ces écrivains contemporains, et au passage il ne manque pas de dénoncer aussi l’ineptie de la société moderne occidentale, qui vise à cantonner l’homme dans un rôle de consommateur, voire de poubelle…

(Agnès Santi, La Terrasse, décembre 2004)

Festival International des Francophonies en Limousin, 1994, spectacle présenté par l’Institut Français de Bucarest et le Théâtre MUNDI de Bucarest, mise en scène : Catalina Buzonianu

Compagnie Drolatic Industry, 2005, création de marionnettes, manipulation et mise en scène : Eric Deniaud

Théâtre International de langue française, 2004, mise en scène : Gabriel Garan

D'autres créations : Roumanie, Moldavie, Canada, Italie…

roumain (disponible en format électronique, traduction par l'auteur)

anglais (disponible en format électronique, traduction Sharon E. Gerstenberger)

italien (disponible en format électronique, traduction Ivano Bruno)

serbo-croate (disponible en format électronique, traduction Julijan Ursulesku, Sonja Jovanovici)

russe (disponible en manuscrit, traduction Larissa Ovadis et Natalia Levkoeva)

polonais (disponible en format électronique, traduction Agata Mozolewska)

arabe (6 modules disponibles en manuscrit, traduction Romeo Yousif)

arabe – Maroc (disponible en format électronique, traduction Brahim Hanaï)

bulgare (disponible en format électronique, traduction par Ivan Radev)

japonais (disponible en format électronique, traduction Kanta Tanizima)

MENTIONS LEGALES

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